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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

assez ! La campagne m’engourdit, m’hébète. Je l’ai dit à mon père, et comme je lui disais que je voulais épouser un roi, il commença à me montrer que c’était impossible et à recommencer de dauber sur ma famille. Je ne donnais pas mon assentiment ; (soi-même on peut dire certaines choses, mais on ne peut pas les entendre dire par les autres.)

Je lui répondis que tout cela était des inventions de Mme T… Je ne la ménage pas, cette bonne tante, et j’ai employé le vrai moyen pour ébranler son influence.

Oh ! Rome, le Pincio qui se lève comme une île au-dessus de la campagne coupée par les aqueducs, la porte du Peuple, l’obélisque, les églises du cardinal Gastolo, qui sont à chaque côté de l’entrée du Corso, le Corso, le palais de la République de Venise, puis ces rues sombres et étroites, ces palais noircis par les siècles, les ruines d’un petit temple à Minerve et enfin le Colisée !… Il me semble voir tout cela. Je ferme les yeux et je traverse la ville, je visite les ruines, je vois…

Je suis le contraire de ceux qui disent : Loin des yeux, loin du cœur. À peine loin de mes yeux, l’objet acquiert une valeur double, je le détaille, je l’admire, je l’aime !

J’ai beaucoup voyagé, j’ai vu bien des villes, mais deux seulemẹnt ont excité au plus haut point mon enthousiasme.

La première, c’est Baden-Baden, où j’ai passé deux étés étant enfant ; je me souviens encore de ces délicieux jardins. La deuxième, c’est Rome. Rome, c’est une impression bien différente, mais plus forte si c’est possible.

Il en est de Rome comme de certaines personnes qu’on n’aime pas d’abord, mais pour lesquelles le sen-