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JOURNAL

fait semblant d’étudier la médecine. Le pauvre oncle m’a jadis aidée à jouer à la poupée, je le battais et lui tirais Jes oreilles.

Je l’embrassai, prête à fondre en larmes : Entre, ici dis-je, il n’y a pas de cérémonie. Papa ne t’aime pas, mais moi je t’aime de tout mon cœur. Je suis toujours la même, seulement un peu plus grande, voilà tout. Cher Nicolas, je ne t’invite pas à déjeuner, je ne suis pas seule, et il y a là toute sorte de gens étrangers, mais reviens demain, absolument.

J’arrivai dans la salle à manger particulière, toute montée.

— Il n’y a pas de quoi se fâcher, dit mon père. Si tu avais voulu, tu l’aurais invité, seulement je me serais sauvé sous un ingénieux prétexte.

— Mon père, vous n’êtes pas bon aujourd’hui, et c’est inutile d’en parler davantage, assez !

La timidité de mon père plia devant ma bouillante sécheresse et tout fut dit.


Jeudi 2-14 septembre. — On parlait du départ de Pacha pendant que celui-ci allait et venait, échangeant des fusils, car il est un fort chasseur devant le Seigneur, comme Nemrod. Mon père le priait de rester, mais cette nature entêtée, une fois qu’elle a dit : non, n’en démordrait pas pour tout au monde.

Je l’ai nommé, à cause de la jeunesse de ses illusions, « l’homme vert ». Je le dis sans cérémonie parce que j’en suis sûre : l’homme vert me regarde comme tout ce qu’il y a de mieux au monde. Je lui ai dit de rester.

— Ne me priez pas de rester, je vous supplie, car je ne pourrais pas vous obéir.

Je le priai en vain et je n’aurais pas été fâchée de le