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JOURNAL

À peine installée pour l’hiver, je me remets à étudier comme avant.

Le soir, il y a eu une histoire de domestique avec Paul. Mon père encouragea le valet, je réprimandai (c’est le mot) mon père, qui avala la réprimande. Voilà de la vulgarité, mais mon journal en est plein. Je vous prie de croire que je ne suis pas vulgaire par ignorance et par vulgarité. J’ai adopté ce genre négligé pour la vitesse et la facilité qu’il donne de beaucoup dire. Enfin il y avait du mécontentement dans l’air, j’étais fâchée, et dans ma voix on entendait ces notes tremblantes qui annoncent un orage.

Paul ne sait pas se conduire et par lui je vois que ma mère avait raison d’être malheureuse.


Dimanche 10 septembre (29 août). — Ma majesté, mon père, mon frère et mes deux cousins nous nous sommes mis en route aujourd’hui pour Poltava.

Je n’ai qu’à m’applaudir, on me cède, on me flatte, et surtout on m’aime. Mon père, qui au commencement voulait me détrôner, a presque entièrement compris pourquoi l’on m’accordait les honneurs souverains et, sauf quelque puérile aspérité de son caractère, me les accorde.

Cet homme sec et étranger à tout sentiment de famille a avec moi des élans de tendresse paternelle qui étonnent tous ceux qui l’entourent. Paul en a conçu un double respect pour moi, et comme je suis bonne envers tout le monde, tout le monde m’aime.

— Tu as tellement changé depuis que je t’ai vue ! me dit mon père aujourd’hui.