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JOURNAL

pagnard, un rêveur, un ténébreux, de vingt-deux ans. Avec lui et Michel, je suis on ne peut mieux, ce qui fait qu’il m’aime beaucoup. Mais quand je me trouve avec des hommes bêtes, je deviens stupide ; je ne sais que dire qui leur soit intelligible et je crains à chaque instant qu’ils ne me soupçonnent d’être amoureuse d’eux. Comme ce pauvre Gritz : il pense que toutes les demoiselles le veulent et dans le moindre sourire il voit des guets-apens et des complots contre son célibat. Savez-vous seulement l’étymologie de ce mot ?

Cœlebs en latin veut dire : délaissé ; il vient aussi du mot grec Koïlos, qui veut dire : creux, vide.

Ô célibataires ! creux, vides, délaissés !

À peine eus-je entendu décamper mon père, que je me précipitai chez la princesse, me roulant dans son lit, coiffant Pacha, flattant Michel sur la tête, et disant tant de bêtises que j’en suis à cette heure émerveillée.

Mon Dieu, faites que je ne me mette pas à détester Pacha, ce brave garçon ! il est si honnête !

On a lu tout haut Poushkine et on a parlé d’amour.

Ah ! je voudrais bien aimer pour savoir ce que c’est ! Ou bien peut-être ai-je déjà aimé ? En ce cas, l’amour est une grande misère qu’on ramasse pour… jeter.

— Tu n’aimeras jamais, me dit mon père.

— Si c’était vrai, j’en remercierais le ciel, répondis-je.