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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

nous avons tous donné quelque chose : c’est sa fête.

Les domestiques sont enchantés de me servir et d’être délivrés des « Français ». Je commande même le dîner ! Et dire qu’il me semblait être dans une maison étrangère, et j’avais peur des usages, des heures fixes !

On m’attend comme à Nice et c’est moi qui fixe les heures.

Mon père adore la gaieté et il n’y est pas habitué par les siens.


Vendredi 8 septembre (27 août). — Misérable peur, je te vaincrai ! Ne me suis-je pas avisée hier de craindre un fusil ? Il est vrai que Paul l’avait chargé et je ne savais pas combien il y avait mis de poudre, et je ne connaissais pas le fusil ; il pouvait éclater et ce serait une mort stupide ou bien je serais défigurée.

Tant pis ! Ce n’est que le premier pas qui coûte ; hier j’ai tiré à cinquante pas et c’est sans aucune espèce de crainte que j’ai tiré aujourd’hui ; je crois, Dieu me pardonne, que j’ai atteint le but chaque fois.

Si je réussis le portrait de Paul, ce sera miracle, car il ne pose pas, et aujourd’hui j’ai travaillé pendant quinze minutes seule. Seule, pas tout à fait, car j’avais en face de moi Michel, qui ose être amoureux de moi.

Tout cela nous a menés jusqu’à neuf heures. Je traînais, traînais, traînais, voyant l’impatience de mon père. Je savais bien qu’il n’attendait que notre départ du salon pour s’enfuir dans la forêt… comme un loup.

Je tins de nouveau ma cour sur l’escalier… J’aime les escaliers, parce qu’on monte… Pacha devait partir demain, mais je fis tant ce soir qu’il restera peut-être, — quoiqu’il serait plus raisonnable de partir, car il est dangereux de m’aimer comme une sœur, pour un cam-