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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

côté matériel est satisfait et n’oblige pas à songer à soi comme un estomac vide.

L’amour au dernier point, la passion l’emporte sur tout, mais pour un instant seulement, et comme on sent après, davantage, tout ce que je viens de dire ! Ce que je dis, je ne l’ai pas lu dans les livres, je ne l’ai pas éprouvé, mais que tous ceux qui ont vécu, qui n’ont plus seize ans comme moi, mettent de côté cette fausse honte qu’on a d’avouer de pareilles choses, et qu’ils l’avouent, qu’ils disent si ce que je tâche de prouver n’est pas juste. Si quelqu’un se contente de peu, c'est qu’il ne voit pas au-dessus de ce qu’il a.


Jeudi 13 juillet. — Le soir, nous allons chez la comtesse de M… Elle me parle mariage.

— Oh ! non, dis-je, je ne veux pas ; je veux me faire chanteuse… Voyez-vous, chère comtesse, il faut faire ceci : je me déguiserai en fille pauvre, et vous, avec ma tante, me conduirez chez le premier professeur de chant de Paris, comme une petite Italienne que vous protégez et qui donne des espérances pour le chant.

— Oh ! oh !

— Ainsi donc, continuai-je tranquillement, c’est le seul moyen de savoir la vérité sur ma voix. Et j’ai une petite robe de l’année dernière qui fera un effet ! dis-je en pinçant et en allongeant les lèvres.

— Au fait, mais oui, c’est une excellente idée !

Mon père télégraphie qu’il m’attend avec impatience. L’oncle Étienne télégraphie qu’il vient me prendre à la frontière. L’oncle Alexandre télégraphie qu’il y a le