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JOURNAL

du monde. Elle veut prouver l’amitié et le bonheur d’avoir confiance.

Moi, le contraire.

Pensez donc comme je serais malheureuse si j’avais voué aux Sapojenikoff une grande amitié !

On ne regrette jamais un bienfait, une gentillesse, une amabilité, un élan parti du cœur ; on le regrette quand on est payé d’ingratitude. Et c’est un bien grand chagrin pour une personne de cœur que de savoir que la sympathie qu’on a éprouvée, l’amitié qu’on a eue pour quelqu’un, est perdue !

— Oh ! Marie, je ne suis pas de votre avis.

— Mais non, écoutez-moi, mademoiselle, Voilà moi, par exemple, qui me tue à vous expliquer une chose, qui m’épuise en raisonnements, et quand j’ai parlé, persuadé, assuré pendant une heure, je m’aperçois que vous êtes sourde.

— Ça, sans doute.

— Je ne vous accuse pas, je n’accuse personne de rien, parce que je ne m’attends à rien de la part de personne. Et c’est le contraire de l’ingratitude qui m’eût étonnée. Je vous assure qu’il vaut mieux regarder la vie et les hommes comme moi, ne leur accorder aucune place dans son cœur et s’en servir comme degrés d’escalier pour monter.

— Marie ! Marie !

— Que voulez-vous ? vous êtes faites autrement que moi ! Tenez, je suis sûre que vous avez déjà parlé de moi assez désavantageusement avec les Sapojenikoff et d’autres. Je suis sûre de cela comme si je l’avais entendu de mes propres oreilles. Et pourtant, je suis avec vous comme j’étais avant et comme je serai toujours.

— C’est la lecture des philosophes qui vous donne