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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Il voulut que nous nous fissions nos confidences.

— Oh ! les vôtres, monsieur, ne m’intéressent pas.

— Oh ! dites-moi combien de fois vous avez aimé, mademoiselle ?

— Une fois.

— Et qui ?

— Un homme que je ne connais pas, que j’ai vu dix ou douze fois dans la rue, qui ne sait pas que j’existe. J’avais douze ans alors, et je ne lui ai jamais parlé.

— C’est un conte !

— C’est une vérité.

— Mais c’est un roman, une fantaisie ; c’est impossible, c’est une ombre !

— Oui, mais je sens que je n’ai pas honte de l’aimer, et qu’il m’est devenu une espèce de divinité. Je ne le compare à personne, et il n’y a pour cela personne de digne.

— Où est-il ?

— Je ne sais seulement pas. Il est marié, très loin.

— Voilà une folie !

Et mon fichu Pietro avait l’air passablement incrédule et dédaigneux.

— Mais c’est vrai, et tenez, je vous aime et c’est autre chose.

— Je vous donne tout mon cœur et vous ne me donnez que la moitié du vôtre, dit-il.

— Ne demandez pas trop et soyez satisfait.

— Mais ce n’est pas tout ? il y a autre chose ?

— C’est tout.

— Pardonnez-moi, et permettez-moi de ne pas vous croire cette fois.

(Voyez-vous cette dépravation !)

— Il faut croire la vérité.