Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 1.pdf/163

Cette page a été validée par deux contributeurs.
160
JOURNAL

— Ce serait trop, dit-il en me regardant tout près, ce serait un rêve.

— Mais un beau rêve, n’est-ce pas ?

— Oh ! oui.

— Alors vous demanderez à votre père ?

— Certainement oui ; mais il ne veut pas que je me marie. Non, je dis que pour ces choses il faut faire parler par les confesseurs.

— Eh bien, faites parler.

— Mon Dieu ! et c’est vous qui me le dites ?

— Oui, vous comprenez, je ne tiens pas à vous, mais je veux donner cette satisfaction à mon orgueil blessé.

— Je suis un malheureux et un maudit dans ce monde.

Il est inutile, impossible de suivre ces centaines de phrases. Je dirai seulement qu’il m’a répété cent fois qu’il m’aimait, d’une voix si douce et avec des yeux si suppliants, que je m’approchai de lui moi-même et que nous avons parlé comme de bons amis d’une multitude de choses. Je l’assurai qu’il y avait un Dieu dans le ciel et du bonheur sur la terre. Je voulais qu’il crût en Dieu, qu’il le vit à travers mes yeux, et qu’il le priât par ma voix,

— Alors, dis-je en m’éloignant, c’est fini ; adieu !

— Je vous aime !

— Et je vous crois, dis-je en pressant ses deux mains, et je vous plains !

— Vous ne m’aimerez jamais ?

— Quand vous serez libre.

— Quand je serai mort.

— Je ne peux pas à présent, car je vous plains et vous méprise. On vous dirait de ne pas m’aimer que vous obéiriez.