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JOURNAL

J’ai chanté et tourné avec tout le monde, à la joie des bons Niçois, surtout des gens du quartier, qui me connaissent tous et disent le plus grand bien de « Mademoiselle Marie ».

Ne pouvant faire autre chose, je fais de la popularité et cela flatte maman. Elle ne regarde pas à la dépense. Ce qui a plu surtout, c’est que j’ai chanté et dit quelques mots en patois.

Pendant que j’étais sur l’échelle avec Olga qui me tirait par les jupes, j’avais bien envie de faire un discours, mais je me suis prudemment abstenue, pour cette année…

J’ai regardé les danses et écouté les cris, toute rêveuse comme il m’arrive souvent. Et le feu d’artifice terminé par un « soleil » magnifique, nous sommes tous rentrés chez nous, au milieu d’un murmure de satisfaction.


Dimanche 7 mai. — On trouve une certaine satisfaction désespérante à mépriser avec raison tout le monde. Au moins, on n’a pas d’illusions. Si Pietro m’a oubliée, il m’a fait une insulte sanglante, et voilà un nom de plus sur mes tablettes de haine et de vengeance.

Tel qu’il est, le genre humain me plaît et je l’aime et j’en fais partie et je vis avec tous ces gens, et d’eux dépendent et ma fortune et mon bonheur.

D’ailleurs tout cela est bête. Mais dans ce monde tout ce qui n’est pas triste est bête, et tout ce qui n’est pas bête est triste.

Demain à trois heures je vais à Rome, tant pour me distraire que pour mépriser A…, si j’en trouve l’occasion.