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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Alors, il allait en s’exaltant de plus en plus ; je ne bougeais pas et ne changeais même pas de couleur.

— Eh bien, dis-je, supposons que je me marie avec vous, et dans deux ans, vous cesserez de m’aimer.

J’ai cru qu’il étoufferait.

— Non, pourquoi de pareilles idées ?

Et haletant, les larmes aux yeux, il est tombé à mes genoux.

Je reculai, rouge de colère. Ô piano protecteur !

— Vous devez avoir un bon caractère, dit-il.

— Je crois bien, sans cela, je vous ferais déjà sortir, répondis-je en me détournant pour rire.

Puis, je me levai, calme et satisfaite, et j’allai faire l’aimable avec les autres.

Mais, il fallait partir.

— Il est temps ? demanda-t-il avec un regard interrogateur.

— Oui, dit maman.

Ayant donné un résumé très court de l’affaire à maman et à Dina, je m’enferme dans ma chambre et, avant d’écrire, je reste une heure, les mains sur la figure et les doigts dans les cheveux, tâchant toujours de me rendre compte de mes propres sentiments.

Je crois me comprendre !

Pauvre Pietro, ce n’est pas que je n’aie rien pour lui, au contraire, mais je ne peux pas consentir à être sa femme.

Les richesses, les villas, les musées des Ruspoli, des Doria, des Torlonia, des Borghèse, des Chiara m’écraseraient. Je suis ambitieuse et vaniteuse par-dessus tout. Et dire qu’on aime une pareille créature, parce qu’on ne la connaît pas ! Si on la connaissait, cette créature… Ah ! bast ! on l’aimerait tout de même.

L’ambition est une passion noble.