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JOURNAL

vert et gentil endroit qu’on nomme la Farnésina. Il a recommencé sa déclaration en disant :

— Je suis au désespoir !

— Qu’est-ce que c’est que le désespoir ?

— C’est quand un homme désire une chose et qu’il ne peut pas l’avoir.

— Vous désirez la lune ?

— Non, le soleil.

— Où est-il ? dis-je en regardant à l’horizon ; il est couché, je crois.

— Non, il est là qui m’illumine : c’est vous.

— Bast ! bast !

— Je n’ai jamais aimé, je déteste les femmes, je n’ai eu que des intrigues avec des femmes faciles.

— Et en me voyant vous m’avez aimée ?.

— Oui, à l’instant même, le premier soir, au théâtre.

— Vous avez dit que c’était passé.

— J’ai plaisanté.

— Comment puis-je savoir quand vous plaisantez et quand vous êtes sérieux ?

— Mais cela se voit !

— C’est juste ; on voit presque toujours quand une personne dit vrai ; mais vous ne m’inspirez aucune confiance, et vos belles idées sur l’amour, encore moins.

— Quelles sont mes idées ? Je vous aime et vous ne me croyez pas. Ah ! dit-il en se mordant les lèvres et en regardant de côté, alors je ne suis rien, je ne puis rien.

— Allez, faites l’hypocrite, dis-je en riant.

— L’hypocrite ! s’écria-t-il en se retournant furieux, toujours l’hypocrite, voilà ce que vous pensez de moi ?

— Et autre chose encore. Taisez-vous, écoutez. Si, en ce moment, un de vos amis passait, vous vous