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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

— Pourquoi as-tu si mal commencé avec moi ? demandai-je.

— Parce que je t’avais prise d’abord pour une Romaine, et je déteste ce genre de femme. — En effet, lorsque j’étais avec Cesaro, il m’offrit de nous asseoir et A… se mit à ma gauche, et pendant que je répondais à mon cavalier, il essaya de me prendre la taille de l’air le plus bête du monde.

— Si tu ne vas pas chasser ce petit fou, dis-je à Cesaro, je vais m’en aller.

Et Cesaro a chassé le petit fou.

Je n’ai vu les hommes qu’un peu à la promenade, au théâtre et chez nous. Dieu, qu’ils sont différents dans un bal masqué ! Si grands et si réservés dans leurs voitures, si empressés, si canailles et si bêtes ici ! Doria seul ne perdait pas sa dignité. C’est peut-être parce qu’il est trop au-dessus des misères humaines. Dix fois j’ai quitté mon jeune amuseur, et dix fois il m’a retrouvée.

Dominica disait de partir, mais le petit nous retenait. Enfin nous parvenons à trouver deux fauteuils et alors la conversation change.

Nous parlons de saint Augustin et de l’abbé Prévost.

Enfin, nous nous sauvons sans qu’on pense à nous suivre, car tous ceux qui m’ont vue dans la rue m’ont reconnue.

Je me suis amusée et désillusionnée.

A… ne me plaît pas tout à fait, et pourtant…

Ah ! le misérable fils de prêtre a emporté mon gant et a baisé ma main gauche.

— Tu sais, dit-il, je ne dis pas que je porterai toujours ce gant sur mon cœur, ce serait bête, mais ce sera un souvenir agréable.