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voisin, pour assister aux luttes. Le fils ainé du paysan qui donne l’aire neuve marche en tête eu élevant triomphalement une croix que domine un chapeau neuf orné de velours, de brillants et de chenille, et d’où flottent au vent des rubans et des ceintures de laine de mille couleurs : ce sont les prix ; souvent on y ajoute un mouton. La croix est plantée au milieu du verger, le mouton est couché à ses pieds ; on forme une enceinte au moyen de pieux et de cordes ; les juges du combat s’y placent ; la foule reste à l’extérieur. Si quelques personnes osent franchir l’enceinte, le fouet d’un jeune garçon, aux yeux bandés, comme la Justice, lequel est chargé de faire la police, ou la poêle noire qu’il promène circulairement avec l’impartialité d’un aveugle, les force vite à reculer.

Un premier champion se présente : il a les cheveux noués sur le derrière de la tête, un simple caleçon et les pieds nus. Les enfants de douze à quinze ans luttent d’abord, puis les jeunes gens, et enfin les hommes. Le lutteur, en entrant en lice, s’empare de l’un des prix, fait le tour de l’enceinte en le tenant élevé, et si personne ne se présente pour le lui disputer, il lui appartient. Mais on ne tarde pas à répondre au défi : les lutteurs s’approchent ; ils commencent par se frapper dans la main en preuve de bonne amitié ; ils s’adressent quelques mots à voix basse, font le signe de la croix, puis ils se saisissent mutuellement, ils se pressent, ils s’épient, ils essayent de se donner le croc-en-jambe, ils s’enlacent parfois et tombent ensemble : mais pour qu’il y ait victoire proclamée, il faut que l’un des deux champions renverse l’autre sur le dos. Alors un des juges s’élance, prend le vainqueur dans ses bras, et le montre a la foule qui le salue de ses bravos. On a vu, dans ces moments de triomphe, des mères franchir l’enceinte des luttes et offrir elles-mêmes leurs fils aux applaudissements du peuple.

Les lutteurs de Bretagne ont toujours été célèbres ; Scaliger appelle les Bretons « une race intrépide, habile dans l’art de la palestre grecque. » Ils étaient autrefois entretenus aux frais de l’Etat ; le connétable de Richemont, duc de Bretagne, en menait à sa suite lors de son voyage à Tours, et les fit jouter devant la cour de Charles VII.

A l’entrevue du camp du drap-d’or, il y eut aussi des luttes où les Anglais furent vainqueurs des lutteurs français ; mais ils n’au-