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vient, fidèle à son métier et à son caractère, terminer la pièce par un conte ; enfin le maître meunier, ce choréographe rustique, si supérieur de toute manière à ses compagnons, lui aussi regrettant avec eux le passé, avec eux pleurant sur le présent, mais plein d’une résignation sublime et mettant son espoir ailleurs : — tous ces paysans victimes de la légalité qui tue, maudissent et bénissent tour-à-tour la main blanche ouverte ou fermée.

Un jour viendra, sans doute, où les esprits se calmeront. Alors la loi sera moins rigoureuse, l’homme des villes moins exigeant, l’étranger naturalisé moins dur, l’habitant des campagnes lui-même plus pénétré du sentiment de ses devoirs et de ses droits. Tout cœur qui bat pour son pays doit souhaiter ce progrès moral. Le temps seul pourra le réaliser complètement, mais il est du devoir de l’homme de lui venir en aide. Des efforts généreux, couronnés du succès, ont déjà été tentés pendant ces dernières années. Les anciens propriétaires du sol se sont crus obligés de donner l’exemple. Un d’eux, celui-là même dont la chanson qu’on vient de lire fait un si juste éloge, M. le comte Jégou du Laz, de Pratulo, arrêta par son influence une sédition moins légitime dans ses motifs, mais qui aurait pu devenir aussi déplorable dans ses conséquences que celle dont l’explosion ensanglanta, au quinzième siècle, la paroisse de Plouié[1]. Cette anecdote est curieuse, même au point de vue de l’histoire; on me permettra de la citer.

Comme au quinzième siècle, un habitant des villes, voulant exercer son droit de congément, éprouva la résistance la plus vive de la part de ses domaniers. Le jour où l’expropriation devait avoir lieu, M. du Laz, se promenant de grand matin dans la campagne, vit passer au bout de ses avenues cinq ou six cents paysans des montagnes armés de leurs bâtons à tête.

— Et où allez-vous donc ainsi, mes amis, à cette heure ? leur demanda-t-il en les abordant.

— Comment, vous ne le savez pas ? répondit le chef de la bande ; mais c’est par vos ordres que nous sommes sur pied !

— Par mes ordres ! Que voulez-vous dire ?

— Oui, monsieur le comte, par vos ordres ! nous nous rendons au bourg de Spezet ; on y va sonner le tocsin pour

  1. V plus haut, p. 10.