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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.


Ainsi chantaient les montagnards, se tenant par la main, et décrivant perpétuellement un demi-cercle de gauche à droite et de droite à gauche, en élevant et baissant à la fois leurs bras en cadence, et sautant à la ritournelle[1].

J’ai déjà fait observer dans l’introduction de ce recueil que la plupart des chants populaires se composent de cette manière en collaboration, Une conversation a ému les esprits ; quelqu’un dit : « Faisons une chanson de danse ! » et l’on se met à l’œuvre. Le tissu, résultat de l’impression de tous, a naturellement de l’unité, mais il est varié : chacun y brode sa fleur, selon sa fantaisie, son humeur et sa profession. Ces nuances de caractère se distinguent facilement dans la pièce qu’on vient de lire.

Le pillaouer, qui court le monde sur sa méchante haquenée, sait combien est amer le pain de l’étranger, et il accuse la loi sans cœur d’envoyer les enfants des montagnes mourir loin du pays natal. Il fréquente les villes ; il va y vendre ses chiffons ; il sait ce qu’ils lui ont coûté de peines à recueillir et ce qu’on les lui a payés ; et il accuse les bourgeois. Il a ouï dire en voyageant qu’un spéculateur étranger, Anglais ou Allemand, attiré dans les montagnes Noires par l’appât des terres en friche, a fait verbaliser sans pitié contre la vache du pauvre errante au milieu des bruyères, ou le chien du paysan à la poursuite d’un sanglier qui dévaste les champs des laboureurs voisins ; et il accuse encore.

Le domanier, chassé de l’héritage de ses pères, dont il se croyait propriétaire incommutable parce qu’il le possède de temps immémorial, et que les anciens chefs de clan ne songeaient pas à l’en bannir ; celui qu’on va en expulser, ou qui a vu le nouveau maître venir, la loi française en main, ordonner de sortir à un de ses parents ; le fermier ruiné, au terme du payement, par son propriétaire, auquel les traditions de la famille et du pays n’ont pas encore appris la maxime bretonne : « Qui n’est que juste est dur ; » le fils au cœur reconnaissant de la veuve brutalisée par l’impitoyable acquéreur ; le garçon meunier, homme positif et rieur, qui ne regrette le vieux temps que parce qu’on avait alors le sel, le tabac et le cidre à meilleur marché, qui prend toute chose par la pointe, nargue les oiseaux verts, se moque des maltôtiers, et

  1. Voyez l’air : Mélodies ; 2e série, N° 26.