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526 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

selle de son cheval, comme à la porte de sa maison, la tête de l’étranger vaincu ; il rit (et serait blâmé de ne pas rire), il rit de bonheur en voyant l’herbe rougie du sang des oppresseurs de sa nation ; il se couche parmi leurs cadavres comme un lion rassasié au milieu d’un troupeau de daims égorgés, et il se délasse en les regardant [1]. Mais quel changement soudain s’est opéré en lui ? Voilà que ces mêmes yeux qu’un spectacle aussi effroyable a charmés versent des larmes de reconnaissance et de piété ! Le barbare tombe à genoux devant le Dieu qu’il a invoqué, et auquel il doit la victoire ; il lui élève des autels comme au soutien de son pays, comme à son protecteur, et la religion remporte sur lui un nouveau triomphe. Elle l’a rendu modeste au milieu du succès, elle lui inspirera la résignation dans les fers, elle le consoleia, elle lui donnera l’espoir ; et un jour que tout le monde l’auia oublié, que personne ne le reconnailra plus sous la casaque de plomb dont l’étranger Taura chargé ; un jour que sa barbe, devenue grise, descendra jusqu’à sa ceinture, et qu’il ressemblera à un chêne mort depuis sept ans, alors la foi passera sous les traits de la sainte patronne du pays ; elle le regardera, elle le reconnaîtra, elle pleurera, elle coupera ses chaînes, et lui, poussant son cri de guérie, il appellera son pays aux armes[2]. — Aux armes ! — répondent les guerriers. Et pour tribut, il offre aux ennemis la tête du gouverneur chargé de percevoir la taxe[3] ; il les moissonne comme le blé dans les champs, il les bat tomme la paille sur l’aire ; et, toujours dévoué, il chante en l’honneur de ses chefs nationaux un chant de triomphe qui s’étend depuis le mont Saint-Michel jusqu’aux vallées d’Elorn [4]. Mais malheur au lils de ses princes que les étrangers, tout vaincus qu’ils sont, emmènent prisonnier au delà des mers ! L’infortuné meurt de chagrin loin du pays natal ; et la nuit, lorsque les àines des martyrs du dévouement à la patrie viennent, à la clarté de la lune, sous la forme d’oiseaux blancs et noirs, avec une tache rouge au front, se percher sur un chêne au bord de la mer, et chanter, il ne chante pas : « Chantez, petits oiseaux, dit-il d’une voix douce et triste, vous n’êtes pas morts loin de la Bretagne[5] ! »

Malheur bientôt au peuple lui-même ! ses chefs de race disparaissent, sa jeunesse commence, rude, à l’école de princes étrangers. Les envahisseurs qu’ils attirent près d’eux lui fournissent l’occasion de montrer cruellement qu’il n’a rien perdu de son amour pour la patrie, de sa première audace, de son esprit d’indépendance.

  1. Lez-Breiz.
  2. Ibid., pages 104 et 105.
  3. Le tribut de Noménoë, page 118.
  4. Alain-le-Renard. p. 121.
  5. Bran, p. 128.