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LE CLERC DE ROHAN.
NOTES

Le baron, dit le poëte populaire, partit pour l’Orient après trois années de mariage. L’histoire nous apprend effectivement qu’en 1239, trois ans après l’époque où eurent lieu les noces de Mathieu de Beauvau et de Jeanne de Rohan, le duc Pierre Mauclerc prit la croix, accompagné d’un grand nombre de seigneurs bretons. La ballade ajoute qu’au bout d’un an, la guerre étant finie, Mathieu revint en Bretagne ; et ici encore elle est conforme à l’histoire, qui fait conclure une trêve au commencement de 1241, entre les Sarrasins et les chrétiens, dont la plupart s’embarquèrent immédiatement à Joppé pour revenir en Europe. La même année, nous voyons Mathieu de Beauvau cité, à la requête de l’évêque de Nantes, à comparaître devant l’archevêque de Bourges, pour avoir à se disculper d’excès dont il s’est rendu coupable[1]. Ces excès, que l’acte d’assignation ne spécifie point, parce qu’ils étaient, je suppose, assez connus, sont, à n’en pouvoir douter, le meurtre de Jeanne de Rohan et du clerc, son infâme calomniateur.

Mais en admettant le fond de leur tragique histoire, je ne puis m’empêcher, je l’avoue, de concevoir des doutes sur la réalité des détails. Je trouve en effet, quoiqu’un peu loin de la Bretagne, et même au bout de l’Europe, une ballade où une femme, jalouse de la sœur de son mari, et voulant le brouiller avec elle, tue successivement son cheval, son faucon et son propre enfant, triple meurtre dont elle accuse sa belle-sœur. Le mari hésite d’abord à croire au crime ; puis, à la vue d’un couteau sanglant qu’on lui montre caché sous l’oreiller de sa sœur, il l’attache à la queue d’un cheval indompté. Mais le Ciel ne veut pas que l’innocence soit punie : partout où tombe une goutte du sang de la victime pousse une fleur, et, forcée d’avouer son crime, la coupable subit la peine du talion. Alors, dans un tableau final, qui rappelle tout à fait l’espèce de transfiguration de la ballade bretonne, on voit apparaître le cheval, le faucon et l’enfant au berceau, sur un lac formé du sang de la belle-sœur jalouse, et de ce lac sort le bras armé du couteau avec lequel elle a tué son fils. S’il n’y a point ici d’imitation, il y a certainement un admirable lieu commun de poésie populaire[2].

  1. {lang|la|Mandamus quatenus citetis vel citare facietis Bituris coram R. P. archiepiscopo Bituris Matheum de Belvalo, per episcopum Nannetensem super inquisitione excessuum. Datum die Veneris post obturam Assumptionis B. M. anno Dom. 1241 (Acta eccles. Nann.,}} ap. D. Morice, Preuves, t. I, col. 221.)
  2. Voir la traduction des Chants Serviens, de Wuk, par Madame Voïart, t. 1, p. 212.