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CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

la prit entre ses mains, la trempa dans l’eau, la lava, et, en ayant peigné et lissé les cheveux, il reconnut les traits de Morvan [1]. »

L’ermite du poëme populaire, qui est évidemment le même que Witchar, prend aussi entre ses mains, comme on l’a vu, la tête de Morvan-Lez-Breiz, et il la trempe dans l’eau ; mais cette eau est bénite, et sa vertu, jointe au signe de la croix, ressuscite le héros breton. Cependant tous les événements n’ont pas été aussi complètement transformés par le poëte populaire, témoin la vengeance que l’écuyer de Morvan tire de la mort de son maître. Ici la tradition le dispute en précision à l’histoire ; l’une met le récit de cette vengeance dans la bouche de l’écuyer : « Si j’ai tué, dit-il, son meurtrier, je n’en ai pas moins perdu mon cher seigneur ; » l’autre s’exprime de la sorte, avec moins de laconisme : « Au moment où un guerrier frank, nommé Cosl, tranchait la tête du Breton, l’écuyer de Morvan le frappa lui-même par derrière d’un coup mortel[2]. »

La sœur de Lez-Breiz peut avoir, comme l’ermite et l’écuyer, son prototype dans l’histoire. L’écrivain frank, à la vérité, lui donne une femme et non une sœur ; mais n’a-t-il pas à dessein confondu l’une et l’autre pour rendre odieux le vaincu ? Il est permis de le penser quand on a lu les vers où il calomnie indignement les bretons, sous prétexte de peindre leurs mœurs[3].

Des deux guerriers mentionnés dans le poëme populaire, aucun ne se retrouve chez l’auteur latin. Il nous apprend seulement, et son témoignage est corroboré par celui d’Eginhard, que Louis le Débonnaire, ayant conquis Barcelone, fit prisonnier, et retint près de lui pour le servir[4], plusieurs des Mores qui habitaient la ville[5]. C’etait d’ailleurs la mode à la cour des rois de cette époque d’avoir pour officiers des hommes de race noire. Le More du poëme populaire est donc certainement un personnage réel. L’auteur breton n’est pas moins d’accord avec tous les historiens du neuvième siècle, quand il suspend la tête ensanglantée du vaincu au pommeau de la selle de Lez-Breiz, qui l’emporte comme un trophée ; on trouve dans les chroniques du temps mille preuves de la persistance de cet usage barbare[6].

Je n’ai pu découvrir aucune allusion à l’autre guerrier vaincu par Lez-Breiz, et dont le poëte populaire a caché le nom sous l’injurieux sobriquet de Lorgnez (la lèpre). Les nombreuses variantes que j’ai recueillies du chant où il figure ne m’ont rien appris de satisfaisant ; mais les injures qu’on lui met à la bouche sont déjà trop bien celles que les écrivains de cette époque prêtent aux Franks dans leurs querelles avec les Bretons,

  1. Is Caput extemplo latice perfundit et ornat
    Pectine ; cognovit max quoque.

    (Ermoldi Nigelli, Carmen de Ludovico pio. D. Bouquet, 1, p. 47.)
  2. Coslus equo cadens stricto caput abstulit ense…
    Murmanis ante c nues Costum percuisit eundem.

    (Ibid.)
  3. Cœunt frater et ipsa soror.

    (Ermoldi Nigelli, etc. p. 39.)
  4. Servitio regis…

    (Ermoldi Nigelli, etc. p. 26.)
  5. Complures Saraceni comprehensi ad præsentiun imperatoris deductii sunt. (Eginhardi, Annales, ibid., p. 23.)
  6. Trucidaverunt et capita seorsum posuerunt. (Vita sancti Conwoionis. Acta Benedicsæc. IV, p. 199)