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CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

anciennes croyances celtiques, un souvenir vivant des superstitions de la Gaule, contre lesquelles la vraie religion eut à lutter. Mais à ce moment elles sont les plus fortes ; le Duz est vainqueur par ses maléfices de la vierge chrétienne, et le produit merveilleux de leur union fatale tient plus de son père que de sa mère ; il le défend contre elle ; il le bénit ; il s’annonce lui-même comme le bon génie de la nation bretonne.

II. Ce bon génie est en même temps un puissant magicien, un descendant des Marses, j’allais dire un Druide. En compagnie d’un chien noir, ou d’un loup familier, il parcourt dès l’aurore les bois, les rivages et les prairies ; il cherche « l’œuf rouge du serpent marin », talisman que l’on devait porter au cou, et dont rien n’égalait le pouvoir.

Il va cueillir le cresson vert, l’herbe d’or et le guy du chêne. L’herbe d’or est une plante médicinale ; les paysans bretons en font grand cas, ils prétendent qu’elle brille de loin comme de l’or ; de là, le nom qu’ils lui donnent. Si quelqu’un, par hasard, la foule aux pieds, il s’endort aussitôt, et entend la langue des chiens, des loups et des oiseaux. On ne rencontre ce simple que rarement et au petit point du jour : pour le cueillir, il faut être nu-pieds, en chemise ; et tracer un cercle à l’entour ; il s’arrache et ne se coupe pas. Il n’y a, dit-on, que les saintes gens qui le trouvent. C’est le sélage de Pline. On le cueillait aussi nu-pieds, en robe blanche, à jeun, sans employer le fer, en glissant la main droite sous la main gauche, et dans un linge qui ne servait qu’une fois.

Quant au guy, on sait combien il était vénéré des Druides.

Mais d’où vient cette voix ? Qui ose apostropher le magicien d’un pareil ton ? Serait-ce déjà le saint évêque auquel la tradition bretonne attribue la conversion de Merlin ? Au moins il est un fait très-curieux à constater, c’est que les belles paroles que le poëte met dans la bouche qui le gourmande se retrouvent dans plusieurs morceaux de poésie galloise, dont deux de Lywarc’h-Hen : Hormis Dieu, il n’y a pas de devin (Namyn Duw uid oes devin[1]), a-t-il dit en faisant une profession de foi exactement semblable à celle de notre pièce, et où il n’y a de changé que l’ordre de la phrase et le dialecte.

III. Merlin a-t-il perdu plus tard sa puissance magique, le devin a-t-il été terrassé par un simple mot sorti d’une bouche chrétienne ?

Quoi qu’il en soit, il est encore barde, car il porte l’anneau d’or et la harpe[2]. Mais on lui dérobe cette harpe ; on lui arrache cet anneau ; on le joue, on le charme ; il marche nu-pieds, nu-tête ; il porte des vêtements en lambeaux ; il pleure ; il est vieux, il est homme. Et, si on le recherche encore, si le peuple pousse des cris de joie, des iou ! iou ! pour saluer sa bienvenue, s’il paraît à la cour des chefs, c’est en souverain détrôné.

Aussi, dès qu’il le peut, s’échappe-t-il. Cette disparition est aussi constatée par les poètes gallois. « Nul ne sait où est la tombe de Merlin, » dit un barde dont les poésies sont antérieures au dixième siècle[3]. Il s’em-

  1. Les Bardes bretons, p. 193. Cf. Myvyr., I, p. 122 et 124.
  2. « Le barde de la cour reçoit du prince une harpe, et de la reine un anneau d’or. » (Lois de Hoel-da, c. 19. Myvyrian, t. III.)
  3. Myvyrian, t. I, p. 71.