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LA PROPHÉTIE DE GWENC’HLAN.

dogme de la métempsycose : « Je suis né trois fois, dit le poëte cambrien… j’ai été mort, j’ai été vivant ; je suis tel que j’étais… J’ai été biche sur la montagne… j’ai été coq tacheté… j’ai été daim de couleur fauve ; maintenant je suis Taliésin[1]. »

Comme Lywarc’h-Hen, il se plaint de la vieillesse, il est triste ; comme lui, il est fataliste. « Si ma destinée avait été d’être heureux, s’écrie le barde s’adressant à son fils qui a été tué, tu aurais échappé à la mort… Avant que je marchasse à l’aide de béquilles, j’étais beau… je suis vieux, je suis seul, je suis décrépit… Malheureuse destinée qui a été infligée à Lywarc’h, la nuit de sa naissance : de longues peines sans fin[2] ! »

De même que Gwenc’hlan représente le prince étranger sous la figure d’un sanglier, et le prince breton, sous celle d’un cheval marin, Taliésin parlant d’un chef gallois, l’appelle le « cheval de guerre[3]. »

L’histoire du barde aveugle d’Armorique chantant dans les fers son chant de mort, offre quelque analogie avec celle d’Aneurin qui, ayant été lait prisonnier à la bataille de Kaltraez, composa son poëme de Gododin durant sa captivité : « Dans cette maison souterraine, malgré la chaîne de fer qui lie mes deux genoux, dit-il, mon chant de Gododin n’est-il pas plus beau que l’aurore? » Le même poëme offre un vers qui se retrouve presque littéralement dans le chant armoricain : « On voit une mare de sang monter jusqu’au genou[4]. »

Le sens des strophes 23e, 24e et 25e du chant breton est exactement le même que celui de deux stances d’une élégie où Lywarc’h-Hen décrit les suites d’un combat :

«J’entends cette nuit les aigles d’Eli… Ils sont ensanglantés ; ils sont dans le bois… Les aigles de Pengwern appellent au loin cette nuit ; on les voit dans le sang humain[5] . »

Mais les bardes que nous venons de citer étaient tous plus ou moins chrétiens, et l’on doit croire que Gwenc’hlan ne l’était guère, en voyant la complaisance avec laquelle il dévoue la « chair chrétienne » aux aigles et aux corbeaux : on se rappelle qu’une tradition populaire lui fait dire : « Un jour viendra où les prêtres du Christ seront poursuivis, où on les huera comme des bêtes fauves[6]. »

Le carnage qu’on en fera, ajoute-t-il, sera tel « qu’ils mourront tous par bandes, sur le Menez-Bré, par bataillons [7]. »

Dans ce temps-là, dit-il encore, « la roue du moulin moulera menu ; le sang des moines lui servira d’eau[8]. »

  1. Myvyrian, t. I, p. 37 et 76.
  2. Ibid., p. 115 et 117 et les Bardes bretons, p. 136.
  3. Ibid., p. 151.
  4. Ibid., p. 7.
  5. Myvyrian, p. 109. Cf. les Bardes bretons, p. 76.
  6. Tud Jezuz-Krist a wallgasor,
    Evel gouezed ho argador.

  7. M’az marvint holl a strolladou
    War menez Bre, a vagadou.

  8. Rod ar vilin a velo flour,
    Gand goad ar enec’h eleac’h dour