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la vie de bohême

Schaunard.

J’ai voulu vendre une pelure dans laquelle je comptais hiverner ; mais c’est aujourd’hui dimanche — ces choses-là n’arrivent qu’à moi, — il n’y avait pas un seul marchand d’habits dans les rues, et les fripiers étaient fermés. Cependant, j’en ai trouvé un ; il m’a offert trente sous de mon alpaga, et un habit de nankin en retour. Je n’avais pas le choix, j’ai pris, voilà.

Musette.

Pauvre garçon ! un habit de nankin de ce temps-ci.

Schaunard.

Ça n’est pas chaud ; mais c’est joli, et puis il y a longtemps que j’avais envie d’en avoir un ! (Il remonte.)

Colline.

Moi, c’est autre chose ! j’ai voulu vendre mes livres ; mais tous les bouquinistes étaient clos dans leur vie privée. Quand j’ai vu ça, je suis entré chez un épicier et je lui ai négocié, au poids, une série de philosophes grecs… Ça valait dix écus, mais ça ne pesait que trois francs. J’ai pris, voilà !…

Rodolphe est remonté près de la fenêtre.
Schaunard.

L’art est dans le marasme… et à cette heure, une moitié de Paris emprunte cent sous à l’autre moitié qui les lui refuse… (Il passe à droite.)

Musette, à Rodolphe.

Est-ce que votre Providence habituelle vous abandonnerait ?

Rodolphe, toujours ironique.

La Providence ! la Providence… (Montrant la fenêtre.) quand il fait ce temps là, elle reste au coin de son feu.

Musette.

Et votre oncle ?