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la vie de bohême.

Rodolphe, lui prenant les mains qu’il admire.

C’est toujours Pradier qui vous fournit vos mains, madame ?

Mme de Rouvre.

Vous les trouvez jolies ?… Plus jolies que celles de Mlle Mimi ?

Rodolphe.

Les siennes étaient moins bien mises.

Mme de Rouvre, ironique.

Point gantées ?

Rodolphe.

Pardon, madame, gantées… de baisers…

Il baise les mains de Mme de Rouvre.
Mme de Rouvre, avec dépit, et retirant ses mains.

J’ai mes fournisseurs… (Rodolphe sourit. — Avec coquetterie.) Voyons, Rodolphe… Aimez-vous encore Mlle Mimi ?

Rodolphe.

Madame, je ne dois plus l’aimer… et peut-être l’ai-je aimée plutôt pour moi que pour elle.

Mme de Rouvre, avec un mouvement de satisfaction contenu.

Ah ! asseyons-nous donc… (Elle l’entraîne sur le canapé de droite, près de la chambre où est Mimi. Ils s’asseyent.) Vous dites l’avoir aimée plutôt pour vous que pour elle ?… Quelle passion est cela ?

Rodolphe.

Passion de poète, passion d’artiste… c’est-à-dire ce qu’il y a de plus beau…

Mme de Rouvre.

Et de plus faux à la fois.

Rodolphe.

Oui, madame, car c’est la perpétuelle exploitation du cœur par l’imagination.