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UN HOMME LIBRE

qu’un secret instinct de mon Être, qui se souvient d’avoir possédé, entrevu ces heures fortes et paisibles marquées à Venise par Titien.

Rien au plus intime de moi ne répond au génie violent de Tintoret. Mon système n’en est pas déconcerté. Aussi bien, dans cette république magnifique et souriante, ce fanatique sombre garde une allure à part, que n’expliquent ni les arts ni les mœurs de son temps. Le Tintoret est à Venise un accident, un à côté. C’est avec Véronèse, si noble, si aisé, que la vraie Venise se développait alors. Mon Être se souvient sans effort d’avoir connu l’instant de dignité, de bonté et de puissance que Véronèse signifie. Alors pour moi (mais dans quel corps habitai-je ?) la vie était une fête ; et bien loin de m’absorber, comme je le fais, dans l’amour de mes plaies, je poussai toute ma force vers le bonheur.

Véronèse cependant m’intimide. Plus qu’un ami il m’est un maître ; je lui cache quelques-uns de mes sourires. — Mon camarade, mon vrai Moi, c’est Tiepolo.

Tiepolo

Celui-là, Tiepolo, est la conscience de Ve-