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UN HOMME LIBRE

d’Haroué ; je l’ai priée de les concilier et de leur donner du style. Et tandis que je contemplais sa beauté, j’ai senti ma force qui, sans s’accroître d’éléments nouveaux, prenait une merveilleuse intensité.

Venise, me dirais-je, fut bâtie sur les lagunes par un groupe d’hommes jaloux de leur indépendance ; cette fierté d’être libre, elle la conserva toujours ; sa politique, ses mœurs, ses arts jamais ne subirent les étrangers. — Ainsi le premier trait de ma vie intellectuelle est de fuir les Barbares, les étrangers ; et le perpétuel ressort de ma vertu, c’est que je me veux homme libre.

Venise, pour avoir été héroïque contre les étrangers, amassa dans l’âme de ses citoyens les plus beaux désintéressements. — Ainsi, je fus toujours ému d’une sorte de générosité naturelle, je hais l’hypocrisie des austères, l’étroitesse des fanatiques et toutes les banalités de la majorité. Toutefois j’avoue ne pas conserver souvenir des luttes qu’en d’autres corps, jadis, mon Être a dû soutenir pour acquérir ces vertus.