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UN HOMME LIBRE

saine, n’a poussé au type. Par les après-midi d’été, on se réunit au « Quaroi » et les femmes, travaillant dans l’ombre que découpent les maisons, se donnent le plaisir de ridiculiser.

Quels souvenirs ont-ils gardés de jadis ? Par les écoles, les inscriptions locales, ils savent une vague bataille de Nancy, où René II leur donna la vie ; puis Stanislas, qui fut leur agonie. Mais dans le peuple, c’est la tradition des Suédois qui domine ; chaque ville en raconte quelque horreur. Ils tuèrent vraiment la Lorraine. Ils saccagèrent tout, Richelieu s’applaudissant. Même les amis du duc Charles IV estimèrent sage de s’approprier les dernières ressources de ceux qu’ils ne pouvaient défendre. Cent cinquante mille bandits, aidés d’autant de femmes, piétinaient le pays dont la ruine se prolongea jusqu’à la fin du siècle. Cependant la race lorraine affamée s’entre-dévorait. Il y avait dans les campagnes des pièges pour hommes, comme on en met aux loups ; des familles mangèrent leurs enfants, et même des jeunes gens, leurs grands-parents. Toutefois ce pauvre peuple se