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UN HOMME LIBRE

l’aise envers eux-mêmes et envers les autres. Mais, aussi fermes qu’eux dans les nécessités, nous leur en voulons de ce manque d’imagination qui les empêche de supposer un cas où ils pourraient ne plus se suffire, et qui les rend durs envers certaines natures chancelantes, plus proches de notre cœur parce qu’elles connaissent la joie douloureuse de se rabaisser.

Je crois que, dans l’intimité de ton cœur, tu haïssais, au noble sens et sans mauvais souhait, Cousin et Hugo. Mais tu as voulu penser et agir selon qu’il était convenable ; et autant que te le permirent tes mouvements instinctifs, tu côtoyas ces natures brutales dont tu souffris.

Ainsi, peu à peu, tu quittais le service de ton âme pour te conformer à la vision commune de l’univers. C’était la nécessité, as-tu dit, qui te forçait à abdiquer ta personnalité excessive ; c’était aussi lassitude de tes casuistiques où toujours tu voyais tes fautes. Tu t’es moins aimé ; tu t’es borné à ce Sainte-Beuve compréhensif où tu te réfugiais d’abord aux seules heures de lassitude cérébrale.