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LA FIÈVRE EST EN FRANCE

M. Clemenceau, qui assiste parfois à ces déjeuners, ne se prononce pas. Les hommes de droite coquettent autour du Général.

Cependant avec le général Saussier, avec le duc d’Aumale, Boulanger ouvre des crises qui pourraient tout casser à droite, à gauche, et même le précipiter. Mais tel est son bonheur que le pire sert à maintenir l’opinion éveillée.

L’indulgence pour ce bel officier, dont les actes et les paroles ont naturellement quelque chose d’affiché, est faite des raisons les plus diverses. Rœmerspacher et Sturel les trouvent dans les lettres de leurs amis : l’avocat Suret-Lefort attend de cette popularité le développement du parti radical ; le journaliste Renaudin est flatté par l’accueil qu’il reçoit du ministre et par le succès des articles qu’il lui consacre : Henri Gallant de Saint-Phlin, qui vit dans sa propriété de la Meuse, écrit : « Nos paysans, depuis Gambetta jusqu’à Boulanger, n’avaient pas connu un nom de ministre ».

Mais enfin, jusqu’alors, ce sont des individus épars qui le regardent avec leurs âmes individuelles. Une grande circonstance créa la socialisation des âmes.

Le 21 avril 1887, on apprit que, dans un guet-apens, M. Schnæbelé, commissaire spécial à la gare française de Pagny, venait d’être arrêté, très probablement sur notre territoire. Un frisson traversa le pays. Les allures de la chancellerie allemande permettaient de croire à la volonté d’humilier la France. Depuis 1871, notre pays n’avait point connu pareille crise. Chaque Lorrain prit son parti du sacrifice nécessaire : il y eut chez tous l’élan, presque les