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L’APPEL AU SOLDAT

manche soir, au reçu des résultats, Déroulède, Naquet, Laisant, Laguerre s’enferment dans le bureau de ce dernier, et, s’avouant perdus, ils disent à l’unanimité :

— Son arrestation sensationnelle peut seule galvaniser les électeurs pour le second tour. Son procès, où nous serions impliqués, ressusciterait le parti. Qu’il rentre, voilà notre dernière carte.

Le lendemain lundi matin, ils montent à la gare Montparnasse dans le train de Granville. Le Hérissé les accompagne. Enivrés par la défaite, ces braves ne désertent une bataille que pour courir à une autre : ils vont vaincre la résistance du Général et l’entraîner, suprême effort, dans la suprême journée du ballottage !

Nul d’eux n’a dormi. Ils s’empoisonnent le sang à songer qu’ils ont misé sur un timide. Dans le wagon, ils rejettent les journaux dont la clameur de victoire les assassine, pour prendre et reprendre les raisons d’espérer auxquelles ils se rattachent. Tous cinq résument enfin leurs vues dans cette formule de Déroulède : « Paraître ou disparaître, mon Général ! »

Prévenu par dépêche de leur arrivée, Boulanger pressent leur proposition. Il s’applique moins à la peser qu’à dominer la colère dont elle l’emplit. En août-septembre 89, il refusait déjà de rentrer : « C’est le conseil de traîtres qui veulent me livrer à Constans. » Aujourd’hui, on doit encore plus douter si cette folie ramènerait la popularité, Et puis quoi ! la popularité ! de dures expériences enseignent à l’élu du 27 janvier qu’elle n’est pas le pouvoir et ne le procure pas. Si l’enthousiasme immense qu’il suscitait en 1888 et 1889 ne lui garda pas sa place