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« PARAÎTRE OU DISPARAÎTRE, MON GÉNÉRAL ! »

Ceci resterait toujours surprenant : un élève de Rousseau défenseur d’une doctrine qui affirme l’inégalité des hommes. Mais Laur a hérité de Jean-Jacques la sentimentalité plutôt que les théories ; si l’antisémitisme, qui plaît pourtant beaucoup aux électeurs, vous choque trop, il l’abandonnera. Son argument victorieux, c’est sa délicatesse de cœur :

— J’ai deux amis, le Général et Drumont ; voyez ma position : l’un d’eux me demande de choisir…

— Il vous demande ! Non : il vous ordonne !

Et Boulanger, au paroxysme de l’irritation, interdit qu’on défende en sa présence l’insulteur de son père. Le jeune fils de Laur, qui fait le voyage gaiement pour connaître le grand ami dont sa famille s’enorgueillit, assiste à ce choc désolant. Ni Laur ni l’enfant, accablés, gros de larmes, au milieu des convives gênés, ne touchent à leur déjeuner. Le Général ne se dégage pas de son humeur sombre. Enfin, vers l’instant des toasts et quand tout le monde exige des impressions uniquement agréables, le petit homme se lève et affirme avec émotion qu’il a déjà beaucoup sacrifié pour le chef et qu’il continuera. « Très bien ! très bien ! » On applaudit, et sur cette phrase vague, on tient pour closes des difficultés qui restent grandes ouvertes.

Drumont écarté ! l’antisémitisme à l’index ! Certains membres du Comité s’en attristent, non point des honorables parlementaires, mais des individus avides de nouveau et qui sentent le besoin d’une formule populaire. Boulanger a parlé de son père, c’est de l’ordre privé, et du plus respectable, mais ses raisons politiques ? Craignait-il de nuire aux forces défensives de la France en inquiétant l’argent ? Ce scrupule