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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

plastique, ni à l’expression scénique. Mais celui qui veut fixer son attention avec force sur une telle situation reconnaîtra qu’on n’en connaît pas de plus pathétique, et sa pensée aura peine à l’embrasser, depuis la place du village où l’enfant joue avec des noms nouveaux les jeux de ses pères, jusqu’aux bibliothèques où l’étudiant qui était né pour la culture française se débat, asphyxié dans l’atmosphère du génie allemand.

Les conséquences d’un si barbare jacobinisme impérial passent notre imagination. Si vous supposez qu’un Voltaire, — d’esprit rapide, faiseur de clarté, et qui répugne à examiner dans un même moment vingt-cinq aspects de choses, — ou bien un Victor Hugo, — génial parce qu’il entendait bruire dans chaque mot français les plus lointains sens étymologiques, — vient de naître depuis 1870 dans quelque village de Lorraine, ne doutez pas que son cerveau désorienté, tenu en servage par l’enseignement allemand du maître d’école, manquera sa naturelle destinée. Je prends cette hypothèse pour qu’on se représente sensiblement la chose ; mais l’ensemble de la génération subit d’une façon certaine la diminution qu’éprouveraient ce Voltaire et ce Hugo hypothétiques. Elle est sacrifiée si les pères et les mères, chaque soir, ne défont pas chez eux tout le travail du maître. Véritable bataille que se livrent, dans ces jeunes cerveaux de vaincus, les ancêtres et le vainqueur.

Sturel et Saint-Phlin connurent par leur aubergiste de Sierck les manuels d’histoire pleins de haine et de mensonges qu’on met aux mains des petits annexés. Son fils, des livres sous le bras, dit en rentrant de l’école :