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L’APPEL AU SOLDAT

ses nerfs. Son cœur, mal à l’aise parce qu’il manquait d’occasion de se contracter, se hâta de souffrir à la rencontre de Mme de Nelles. Elle passa, cette femme de vingt-deux ans, avec la marche souple et puissante d’un animal. « Comme le mariage l’a transformée ! » pensait douloureusement Sturel. Il se représentait M. de Nelles heureux, comblé par la vie, mêlé aux affaires publiques, en position de jouer un rôle, autorisé à vivre enfin ! Il ne le jalousait pas, mais il souffrait d’une noble envie à errer inactif, inconnu, parmi les choses du passé.

Mme de Nelles et François Sturel voyaient autour d’eux le même vide : celui-ci, pour n’avoir point trouvé d’autre emploi à son énergie que sa conservation personnelle ; celle-là, pour n’être invitée qu’à la conservation de l’espèce.

Le soir de cette rencontre, Sturel sentit avec force la privation d’entretiens sympathiques. De sa chambre, dont la fenêtre ouverte laissait entrer le doux clapotis des vagues, il écrivit à son ami Rœmerspacher une longue lettre où il racontait son voyage.

En 1880, sept années avant ces événements, Rœmerspacher, sortant du lycée de Nancy, se croyait des dispositions pour les recherches scientifiques, et il pensa les satisfaire à la Faculté de médecine. Il y trouva d’excellents maîtres et une série d’examens gradués de façon à offrir aux malades des garanties, mais non pas, à proprement parler, le goût ni l’esprit de la science. Il souffrait confusément de ce manque. Il fit un grand pas, un jour que par hasard, dans l’été de 1885, il pénétra à l’École des Hautes-Études. Dans ces petites salles de la vieille Sor-