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L’APPEL AU SOLDAT

a repris sa campagne de couloirs et cette fois avec une incroyable violence d’outrages. Grossièrement convaincu du caractère éternel et supérieur à toute critique des affirmations auxquelles il a lié son destin, il haïssait déjà Boulanger comme le syndic préposé à la faillite parlementaire. Et voici qu’à cette haine première se joint le plus sincère, le plus complet mépris.

Au début, il n’éprouvait qu’une méfiance de plébéien et d’intellectuel qui s’est toujours détourné des sports, pour le prétorien qui, vêtu de couleurs voyantes, fait l’insolent avec les bourgeois et se croit d’une élite quand il n’est que d’une livrée. De ce sentiment très profond en lui, Bouteiller, d’ailleurs, prenait mal conscience, car il se piquait d’une compétence particulière dans les choses de l’armée et se croyait un administrateur militaire, voire un homme de guerre en civil. Cette antipathie innée et professionnelle s’exagéra quand les deux hommes vécurent côte à côte. Chez l’un et chez l’autre, existait un fonds de vulgarité, une forte vie tout récemment issue du peuple, mais le milieu avait fait Boulanger plus aristocrate, à cause des chevaux, des camaraderies, des attitudes étudiées, et Bouteiller plus sacerdotal à la suite de tant de prêcheries sur le devoir philosophique. Les conversations légères du jeune ministre, si aimable, si fringant, offensaient Bouteiller qui, avec son teint pâle, sa redingote où l’on cherchait instinctivement des traces de craie, était incapable de se prêter à ces frivolités et s’irritait qu’un membre du gouvernement fumât et plaisantât avec des membres de l’opposition. « Il se croit toujours au Café de la Comédie », avait-il dit. « C’est