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L’APPEL AU SOLDAT

jours de janvier, Mme de Nelles qui le voyait distrait.

Et après un léger silence :

— Je calculais — répondit-il en lui baisant la main — ce que peuvent représenter de voix les blanquistes dissidents.

Il souffrit de la tristesse qui passa sur les traits de sa maîtresse et chassa la joie d’enfant qu’elle montrait à le voir, mais il désirait s’évader. Quand elle entendit la porte de l’hôtel retomber, elle eut un grand trouble, sentit la solitude de la vie. Sturel courait chez la grande Léontine où Fanfournot sorti de prison venait d’organiser un service d’embauchage. Le jeune libéré menait des bandes, dans les réunions, contre les révolutionnaires de gouvernement : ce qu’on appelle assurer les services d’ordre. Ses hommes se faisaient assommer pour quarante sous, pour leur sombre plaisir et pour « la République des honnêtes gens ». La passion boulangiste enflammait la Léontine, originaire de Verdun et chez qui parlaient des instincts de vieille haridelle militaire. Elle la motivait par son expérience des misères de la vie, et l’exprimait dans des apostrophes au froid, à la mauvaise nourriture, à la maladie, cependant qu’elle posait des compresses fétides sur les contusions de Fanfournot, rentré au milieu de la nuit, livide, frénétique, idiot, vaniteux et idéaliste.

Pour louer et insulter le général Boulanger, on dépensa dans cette courte campagne un million. Son nom tapissait et assourdissait Paris. Il était lui seul l’opposition entière. Les circonstances l’avaient mis de niveau avec le gouvernement. On choisissait entre Boulanger et la République parlementaire. La France entière, penchée par-dessus les joueurs, suivait avec