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STUREL CHEZ LE SYNDIC DES MÉCONTENTS

La domesticité des « Monsieur le Comte », les deux pas en avant, les acquiescements à son geste très poli qui ajourne ont un beau pittoresque d’autorité et de cafarderie. Quand le personnage est entré chez le Général, Sturel essaye de se faire documenter par Renaudin qui sait peu de chose :

— Un ancien officier, très riche, très dévoué à Boulanger ; ils étaient ensemble à Saint-Cyr… Il a gagné beaucoup d’argent, paraît-il, dans un câble avec Mackay. Attention ! mes enfants, vous qui avez des familles, elles pourraient vous recommander à cet argentier, car c’est un peu notre compatriote : du moins, sa sœur habite aux salines de Dieuze.

Une poussée encore. Quelqu’un sort de chez le Général, accueilli par un murmure courtisan : c’est le sénateur Naquet, le théoricien du parti. Il s’attarde à causer du chef, qu’il exalte en termes relativement modérés, et par là d’autant plus forts. Sa lucidité, sa force de bon sens ne laissent subsister aucune objection. Naquet ne crée pas l’enthousiasme, mais il le justifie. Les sentiments soulevés par ces merveilleux excitateurs, Rochefort et Déroulède, ce légiste les organise.

Soudain, avec ses jeunes secrétaires dont il ne se distingue point par l’âge, mais par un grand air de décision et de hauteur courtoise, Laguerre, que trente solliciteurs voudraient arrêter, traverse rapidement la foule, la tête vissée sur un cou rigide, ne regardant ni à ses côtés ni derrière. Déjà Renaudin s’est élancé pour l’annoncer et l’introduire. Un des secrétaires reconnaît au passage un conseiller général de province et arrête son jeune patron pour le lui présenter. Sturel voit le gros industriel qui