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« Permettez moi, messieurs, en dévoué confrère,
De vous faire présent à tous d’un exemplaire
Du livre que je vais donner sur la douleur.

- La douleur ! Ah ! Vraiment, répond la table en chœur,
Quel superbe sujet ! - Oui, messieurs, c’est le thème
Que je viens de traiter avec un soin extrême.
J’en ai sondé le fond d’un regard plein d’amour,
Saisi tous les côtés, et le contre et le pour,
Et du tout j’ai conclu que rien sur cette terre
À notre avancement n’était plus nécessaire.
Vous jugerez, messieurs, mais je crois avoir fait
De mon mieux et toujours être demeuré vrai.

- Admirable, bravo ! Dit chacun à la ronde.
La douleur, la douleur ! C’est la bêche féconde
Qui, délivrant nos cœurs des penchants vicieux,
Les prépare à mûrir la semence des cieux ;
C’est le divin creuset où sur l’ardente flamme
Le fer devient acier... c’est la trempe de l’âme...
Sans elle nous serions moins que des animaux,
Des mollusques grossiers, de fades végétaux... »

C’était à qui mieux mieux : d’un moment de silence
Je profite à mon tour pour doter l’assistance
De mon mot, et je dis : « Messieurs, pour moi, de Dieu
En créant la douleur j’ignore encor le vœu,
Mais je le bénis fort de sa pitié des hommes
Et d’avoir fait couler sur le globe où nous sommes
Tant de flots de bon vin afin de l’y noyer... »
Mon mot lâché, j’attends l’effet du plaidoyer.
Hélas ! On aurait dit qu’une flamme effroyable
Du feu d’enfer venait de tomber sur la table.
Tous les yeux aussitôt se dirigent vers moi
Étonnés, inquiets, comme saisis d’effroi ;
Il semblait que je fusse une horrible vipère,
Un scorpion mortel... j’étais plus, un faux frère
Faufilé dans la bande on ne sait trop comment,