Page:Barbier - Iambes et Poèmes, 1841.djvu/58

Cette page n’a pas encore été corrigée

Que la mort sur ta lèvre a cloué de ses mains ?
Est-ce un ris de pitié sur les pauvres humains ?
Ah ! Le mépris va bien à la bouche de Dante,
Car il reçut le jour dans une ville ardente,
Et le pavé natal fut un champ de graviers
Qui déchira longtemps la plante de ses pieds :
Dante vit comme nous, les factions humaines
Rouler autour de lui leurs fortunes soudaines ;
Il vit les citoyens s’égorger en plein jour,
Les partis écrasés renaître tour à tour ;
Il vit sur les bûchers s’allumer les victimes ;
Il vit pendant trente ans passer des flots de crimes,
Et le mot de patrie à tous les vents jeté,
Sans profit pour le peuple et pour la liberté.
Ô Dante Alighieri, poëte de Florence,
Je comprends aujourd’hui ta mortelle souffrance ;
Amant de Béatrice, à l’exil condamné,
Je comprends ton œil cave et ton front décharné,
Le dégoût qui te prit des choses de ce monde,
Ce mal de cœur sans fin, cette haine profonde