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avaient bu. — Cette blanche figure m’atteignait comme d’un rayon, du fond de son angle mystérieux et sombre, et me communiquait l’immobilité de sa pose éternelle. Je préférais l’intrépide contour de cette lèvre entr’ouverte et muette, mate et pâle, sans souffle et glacée, et que j’aurais eu effroi de baiser, à celle qui rouge de vie et chaude de tendresse me tiédissait le front chaque soir. Je préférais l’œil sans prunelle du plâtre grossier et fragile aux flammes intelligentes de la pensée et du sentiment.

VII

Je ne savais pas (heureux enfant !) ce que c’est que la Beauté, la Douleur, l’Orgueil, tout ce qui vivait sans respirer dans ce plâtre morne et blême. Je ne savais pas ce que c’est que d’être nue, ce que c’est que d’être impie, et pourquoi, ô buste inconnu, ils t’avaient donné l’air étonnant que tu avais ! Mon sein que tu n’agitais pas, était fermé sur les profondeurs de ma destinée. Depuis, il s’est ouvert comme un gouffre. Beauté, Douleur, Orgueil, je vous ai connus ! J’ai appris que vous étiez la vie, et que toi, tu t’appelais Niobé !