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Marquis des Saffras ne peint pas comme il peint (par eux-mêmes) que des types individuels, très-curieux, très-originaux, et cependant très-humains et très-vrais. Après nous avoir donné cet admirable Espérit que j’oserai appeler une création, le premier inventeur à qui il ne faille pas crier : « Sois doux ! » et qui n’ait pas sur le cœur un vautour comme Prométhée, mais une colombe ; après avoir donné une si magistrale saillie à ce Marius Tirard, le maire de Lamanoc, une tête qu’aurait admirée Walter Scott ; après nous avoir épinglé cette vieille Mlle Blandine, travaillée comme les dentelles rousses de son corsage, MIle Blandine, un type de vieille fille nouveau, quand ils sont tous usés, les types de vieilles filles ! un type de contradiction presque géniale et d’adorable bonté cachée, M. de La Madelène n’est qu’à moitié de son talent, et la plus belle moitié de ce talent, la voici. Il fait mouvoir les foules que Shakespeare, plus heureux, pouvait mettre à la scène, et qu’il ne peut, lui, faire mouvoir que dans des romans. Il les connaît, il les agite, il les remue et les penche, il leur ouvre le sein, il les décompose, et avec une puissance bien supérieure à celle qu’il possède, et dont il fait preuve quand il n’a affaire qu’à l’homme seul.

Nous le disons en finissant : là est la force indiscutable et absolue du talent de M. de La Madelène. Lorsque, dans le cours du roman, Espérit parvient à faire jouer sa tragédie, il éclate tout à coup, à la représentation qu’il a achetée par tant d’efforts, une émeute effroyable qui, à elle seule, ferait lire le livre du Marquis des Saffras et classerait l’homme qui l’a peinte. La fougue qui enlève un si vaste ensemble ne nuit pas aux