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la douleur elle-même a sa sensualité, rien de plus frappant que de voir ce que jusque-là on n’avait pas vu : le Stoïcisme en poésie nous écrivant, par la main la plus douce qui ait jamais existé, des vers de cette virilité d’idées et de cette simplicité d’expression :

Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d’Hommes,

Que j’ai honte de nous, débiles que nous sommes !

Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,

C’est vous qui le savez, sublimes animaux !

A voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse,

Seul.le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.

— Ah I je t’ai bien compris, sauvage voyageur,

Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au cœur !

Il disait : « Si tu peux, fais que ton âme arrive,

A force de rester studieuse et pensive,

Jusqu’à ce haut degré de stoïque fierté

Où, naissant dans les bois, j’ai tout d’abord monté.

Gémir, pleurer, prier, est également lâche.

Fais énergiquement ta longue et lourde tâche

Dans la voie où le sort a voulu t’appeler,

Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. »

Et cette magnifique implacabilité d’idée devant une destinée implacable, cette revanche sublime du vaincu contre son vainqueur par l’inflexibilité de l’attitude, cette glorification du silence, si neuve dans la bouche d’un poète, — un oiseau chanteur ! — je les retrouve à toute place dans ce recueil de poésies, et avec un accent plus mâle et plus grandiose encore que celui des vers que je viens de citer :

Ce Sisyphe éternel est beau, seul, tout meurtri,

Brûlé, précipité, sans jeter un seul cri,