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C’était aussi bête que de lui reprocher d’agir des cheveux noirs… Si Shakespeare, que ces imbécilles admirent par lâcheté de tradition, donnait aujourd’hui son Hamlet, le plus beau de ses drames, ils diraient de la scène du cimetière où Hamlet, de ses mains de prince, joue au bilboquet avec des têtes de mort fraîchement déterrées, ce qu’ils disent des peintures horribles et sépulcrales de l’auteur des Névroses ; car Hamlet et M. Rollinat font exactement la même chose, et cette chose doit soulever le cœur de ceux qui croient en avoir un bien placé auprès d’un estomac bien tranquille. La seule différence entre eux (avec celle du génie dont il ne peut pas être question ici), c’est que l’Hamlet du théâtre anglais est un sceptique désespéré qui n’a que mépris pour la vie humaine et pour le néant de l’humanité, et que l’Hamlet des Névroses n’a pour l’humanité et la vie que l’horreur, mais l’horreur la plus épouvantée !… Le poète des Névroses ne méprise pas à la manière d’Hamlet ; on ne méprise pas ce qui fait peur, et il a une peur atroce des mystères inscrutables et toujours menaçants de cette vie incompréhensible et même de la mort. D’ailleurs, dans la succession des génies noirs, on a plus noir maintenant et plus sépulcral que Shakespeare. Nous, les décadents d’une race qui s’éteint dans les amollissements convulsifs et la pourriture de sa propre civilisation, nous avons été trempés dans un bien autre Érèbe que le grand poète