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faisant comme les peintres, qui se peignent plus que les gens qu’ils peignent, dans leur peinture. Le plus souvent incapable d’une synthèse quelconque, la Critique se contente de déchirer avec les petites épingles de l’analyse un livre quand il est d’ensemble, quand il a la prétention d’être lié en toutes ses parties et d’être parti d’une conception première, comme, par exemple, ces poésies de M. Rollinat, qui, tout détraquées qu’elles paraissent, ont l’honneur de vouloir être une unité. Seulement, qu’importe à la Critique, comme au Poète, qu’un monsieur quelconque, désarmé de tout principe et de toute sécurité d’affirmation et n’étant que la marionnette de son genre de sensibilité, trouve un poète adorable ou insupportable, selon le fil qu’il a entre les deux jambes, ce pantin ! La Critique est plus haute et plus simple que cela. Il ne s’agit, en définitive, que d’une seule chose pour elle : c’est, après avoir constaté le genre d’inspiration du poète, de déterminer son degré de puissance et sa place dans le hiérarchique Pandémonium des poètes, où il faut le mettre et où il doit rester.

Et toute la question est là, pour la Critique. Que cela plaise ou non à votre personne, à vos idées, à vos sentiments, à vos sensations, à votre éducation, à vos préjugés, l’homme que voici, l’inconnu d’hier qui s’appelle Rollinat et qui a écrit les Névroses, est-il puissant, oui ou non et quelle est la mesure de sa puissance ?