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décadente, cette poésie du spleen et du spasme, de la peur, de l’anxiété, de la rêverie angoissée, du frisson devant l’invisible, —cette poésie adorée dans leurs œuvres par des générations qui n’ont plus que des nerfs et qui est la poésie habituelle d’Edgar Poe et de Baudelaire, — n’en est pas moins, malgré l’effroyable perversion des têtes dont elle est sortie, le dernier cri — noble quand on le compare ii tant d’autres cris ! — de la matière impuissante, si stupide, si vile et si lâche devant le menaçant mystère des choses qui nous étreignent de leurs ténèbres pendant notre passage de quelques minutes ici-bas. Tout est, en ce moment du xixe siècle, plongé dans un matérialisme qu’on ne sait plus, pour peu qu’on respecte sa langue, même comment nommer, mais les poètes modernes, de cela seul qu’ils sont des poètes, ont l’horreur instinctive de cette fange dont ils veulent dégager leurs pieds divins, et ils les en arrachent pour ne pas être étouffés par elle. C’est alors qu’ils se rejettent aux nervosités de la nature humaine ; car les nerfs sont plus spirituels que la chair. Ce qui fait presque pardonner à la poésie de Baudelaire et de Poe ses insanités, c’est que, nés tous deux fatalement du matérialisme contemporain, ils sont moins des matérialistes que des nerveux. Leur poésie remonte par les nerfs — ces subtils fils conducteurs — vers la spiriritualité céleste, et la poésie aussi de Maurice Rollinat, qui intitule nettement son livre : Les Névroses,