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populaire que s’il ne méritait pas de l’être, et donné à sa popularité un caractère aussi particulier que son génie. Les autres grands écrivains —et les plus grands ! — ne laissent dans nos souvenirs que l’impression de leurs chefs-d’œuvre et le nom qu’ils ont immortalisé, mais La Fontaine y a laissé son œuvre même. Il est en nous et il vit en nous. Il fait corps avec notre substance. Nous avons tous, en France, été baptisés en Jean La Fontaine, et fait notre première communion intellectuelle dans ses Fables. Et plus nous avons grandi, plus il a grandi avec nous ; plus nous avons avancé dans la vie, plus nous avons trouvé de charme et de solidité dans ces Fables qui sont la vérité, dans ces drames dont les bêtes sont les personnages et qui racontent si délicieusement et si puissamment la vie humaine, tout en la métamorphosant.

Voilà le phénomène qu’il faut décrire et expliquer. Beaucoup d’écrivains ont parlé de La Fontaine, et il y a eu des choses bien dites sur cet esprit et sur cette âme qui va à tant d’esprits et à tant d’âmes, et qu’on pourrait appeler le séducteur universel. Il y a eu de son talent et de sa personne beaucoup d’appréciations intéressantes, parce que la supériorité de La Fontaine est si incontestable et si grande que quoi qu’on dise à son éloge on trouve toujours juste, et dans le vrai quelque chose de plus. Rappelez-vous La Harpe, Chamfort, Feletz et vingt autres ! Spécialement, dans ce temps-ci, deux hommes se sont occupés plus que