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son livre : c’est qu’on y voit qu’il a trop lu les poètes de son époque ; il s’est trop imprégné de ceux qu’il admire. Sans doute, l’auteur du Dernier Chant vit assez par lui-même, il a assez en lui de la substance du poète, pour être poète à son tour malgré ceux qu’il a lus. Mais pourquoi n’a-t-il pas partout une forme virginale d’originalité et une conception immaculée ? Il faut bien le reconnaître, la Poésie est une Vierge, et pour la plupart des poètes, à cette heure, elle n’est qu’une veuve… quand elle n’est pas pis. Elle porte l’odeur d’un autre dans le mystère de sa personne, et sur ses chastes bras, l’impression brûlante encore des bras qui déjà l’ont étreinte…

Lamartine a seul, parmi nous, la virginité de la Muse. C’est la seul* voix de notre siècle qui ne rappelle pas une autre voix. Quand ses Méditations parurent, après les versifications du xvme siècle et de l’Empire, elles semblèrent tomber du ciel. Elles ne descendaient de personne. On ne pouvait pas même comparer au phénix cette Poésie nouvelle, car le phénix, c’est l’oiseau flamboyant et merveilleux qui renaît de ses cendres, et la poésie de Lamartine n’était point une renaissance. Elle ne renaissait pas : elle naissait ! Fille sans mère, prolem sine matre creatam ! Elle n’était dans aucune tradition connue, dans aucun accent appréciable, sinon dans le sien… Elle avait le grand caractère virginal et divin de la Poésie dans sa pure beauté absolue. Aussi fit-elle dans les imaginations et