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plein de flèches, ne fit tomber que des rayons sur les jaloux de son talent ou sur les traîtres à sa gloire. Il vanta jusqu’à sa dernière heure ceux-là même qui ne le vantaient pas. L’envie, ce mal de presque tous les hommes, qui est deux fois le mal des poètes, n’approchait point de sa candeur. Il n’était poète que de génie, mais il n’avait pas l’effroyable légèreté des poètes, de ces oiseaux charmants qui chantent et qui s’envolent, et dont le monde, dans un sens plus amer que ne le disait Lamartine :

Ne connaît rien d’eux que leur voix !

Ceux qui vécurent près de lui connurent autre chose. Ils connurent sa profondeur de sentiment dans toutes les affections de sa vie, et, jusque dans ses plus flottantes relations, son incorruptible fidélité. Il chantait, mais ne s’envolait pas !

Il est resté, au contraire, toute sa vie, qui fut longue, à la même place, — et c’est peut-être là que les poètes, ces malheureux inquiets, seraient le mieux, s’ils pouvaient y rester. Il avait, comme l’a dit Jean-Paul, les racines horizontales et verticales qui attachent un homme à la terre. Il avait une femme et une fille que le monde connaît, car il les lui a apprises dans cette poésie, qui fut la dernière qu’il ait écrite, et qu’il consacra, sous le titre de : Quelques vers pour Elle, à sa femme, morte depuis à peine quelques mois. C’est, sans nul doute, de vivre entre elles deux, qui lui