Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/260

Cette page n’a pas encore été corrigée

Et c’est cette petite fleur que j’ai aperçue au milieu du pré brouté par la démocratie, —que Pichat croit, lui ! être le champ de l’avenir, — c’est cette petite fleur, retrouvée là, qui m’a empêché de jeter sous mes pieds avec mépris ce livre où un regain de poésie vivace, inarrachable du cœur d’un homme, domine encore, domine toujours tous les prosaïsmes glorifiés de ce siècle dégénéré ! Et tel est aussi le mérite — le seul mérite — du livre de Pichat, poète malgré lui, poète incorrigible, poète démocratique… c’est-à-dire un aristocrate qui a dérogé. Certainement, il n’y a pas partout de la poésie, en ces Réveils, mais enfin il y en a assez pour faire mesurer ce qu’il y en aurait si l’auteur s’était abandonné à sa nature, et n’avait pas versé dans des idées et des doctrines qui rongent et diminuent les poètes, mais qui ne sont pas de force à complètement les supprimer ! Le livre de Laurent Pichat est une preuve de plus de cette vérité, qu’il faut être infatigable à mettre en lumière : que rien, dans les dernières erreurs qui se sont abattues et se sont accroupies sur le monde, n’est assez puissant pour venir à bout de la faculté poétique, —la seule peut-être de nos facultés qui soit immortelle, car elle fleurit encore, comme ici, revanche superbe de l’imagination des hommes ! sur les débris de leur raison.