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que le Hun dévastateur disait du sien : « L’herbe est courte où mon cheval a passé ! » Et c’est si appréhendant et si maîtrisant pour notre âme, de pareils vers, qu’on ne s’aperçoit pas même des incorrections du poète ; car il y en a ici : on ne se soûle pas avec des tombeaux ! Mais qu’est-ce qu’une éraflure sur un muscle d’Hercule ?… Cette première idylle, qui ouvre les Idylles Prussiennes, donne le la terrible de toutes les autres. En ces Idylles qui cachent des élégies, mais des élégies qui pleurent du sang, comme le Jour des Morts, les Femmes violées, les Allemands, le Jeune Prussien (je ne puis pas tout citer) ; dans ces Idylles où se rencontrent quelques notes simplement touchantes et tendres, ce qui vibre avec le plus de profondeur, c’est la haine, — la haine du Prussien, — et même encore plus (du moins dans ma sensation, à moi ! ) que l’amour de la France. La haine belle à force de hideur, comme la Gorgone ; la haine, qui attend son moment, repliée, concentrée, se dévorant en attendant qu’elle dévore ; une haine infinie, éternelle, aux yeux de tigre altéré, brûlants, toujours ouverts, voilà le doux Banville en ses Idylles, et ses Amaryllis charmantes. La haine… « Jel’aime, — disaitByrond’un homme.— Je l’aime.Il savait bien haïr ! » Les Idylles Prussiennes attestent une haine que Byron eût aimée, car elle a une profondeur qui suffit, sans qu’il soit besoin d’autre chose, pour faire des vers sublimes. Desvers assez sublimes comme ça !