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lesquelles la Critique, accoutumée à l’inspiration de M. de Banville, n’avait pas le droit de compter. L’inspiration du poète qui était allé des Cariatides aux Odes Funambulesques, et s’était risqué avec tant de hardiesse sur ce dangereux trapèze lyrique, cette inspiration était bien connue. Elle avait trente ans de rayonnement. On n’imaginait pas qu’elle pût jamais changer dans le poète, et pourtant ce rare phénomène s’est accompli ! En général, les poètes, et même les plus grands, restent asservis à l’inspiration qui fit leur gloire et continuent de vivre soumis au despotisme d’une manière, pratiquée longtemps. Eh bien, M. de Banville a fait exception à cette règle, fatale au génie, et qui a trop souvent frappé de monotonie sa grandeur ! L’auteur des Cariatides a rejeté son entablement. Il a été un autre que lui-même à un âge où l’on n’est plus que soi. On le croyait enraciné dans sa manière ; il lui a poussé d’autres racines. Il n’a pas modifié son inspiration, il l’a changée. Il s’est ouvert en lui une source d’inspiration nouvelle. L’aurait-on prévu jamais ? l’homme des Idylles Prussiennes est sorti de l’homme des Odes Funambulesques ! Ce corps souple — ce trop de corps ! — a trouvé cette âme. Ces Idylles Prussiennes, sur lesquelles je veux particulièrement insister, ne sont pas seulement les plus belles poésies du volume, mais elles portent avec elles un caractère de nouveauté si peu attendu et si étonnant, qu’en vérité on peut tout croire de la puissance d’un poète qui, après