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forme lentement, fût formée, et qui, avant la lettre, créa la lettre, — la lettre de cette langue qu’à la distance d’une seule génération parla Mathurin Régnier, plus correcte alors et plus ferme, mais bien moins juvénilement inspirée ! L’incroyable magie de Ronsard est précisément que sa poésie est d’autant plus charmante et quelquefois plus belle que sa langue n’est pas encore une langue venue, à contours pleins, arrêtés et purs. Les femmes ne sont-elles pas ainsi, du reste ? Pour faire comprendre ce que je dis, voyez ces vers sur les Sirènes :

Elles, d’ordre, — et flanc a flanc

OUives, — au front des ondes,

D’un peig îe d’ivoire blanc

Frisottaient leurs tresses blondes ;

Et mignottant de leurs yeux

Les attraits délicieux,

Aguignaient la nef passante

D’une œillade languissante !

Frisottaient, mignottaient, aguignaient, sont des mots enfants, qui s’en sont allés où vont les charmes de l’enfance, ces charmes inouïs que jamais on ne retrouve plus, dans les femmes les plus accomplies et les plus belles, comme ils furent, deux jours, en ces petites filles inachevées qui, moins elles sont dans la vie, nous paraissent plus près du ciel !